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Laurie lit
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  • Des livres, des rencontres, des coups de cœur, des BD, des romans jeunesse, des petits auteurs peu connus, de grands auteurs, des connus, des spectacles, des billets-émotions, et des échanges surtout...
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6 décembre 2014

Invisible violence, Eglantine Lhernault

couvinvisiblep1"J'aurais préféré qu'il y ait des coups pour avoir des traces physiques et que l'on me croit". Voilà les premiers mots que j'ai entendus quand je me suis approchée de la table où était assise Eglantine Lhernault lors du salon du premier roman de Draveil. J'avais repéré son livre dans la liste, j'ai voulu aller à sa rencontre. Il est vrai qu'on a toujours l'air un peu bête dans ces cas-là (enfin moi personnellement) car en vrai, on n'a rien à dire mais on veut juste en savoir un peu plus sur le livre et échanger quelques mots avec l'auteur. Quelques mots & une attitude ont suffi. Parfois il en faut peu pour avoir envie d'aller plus loin. En quelques minutes d'échange, j'ai senti une profonde sincérité, une grande timidité et beaucoup de violence vécue...je n'ai pas été déçue.

Dans ce premier roman autobiographique, Eglantine raconte son enfance, entre un papa psychiatre renommé et sa maman, ancienne patiente. Manifestement cet homme aime maîtriser les choses, les gens, les faits. La manipulation psychologique semble assez bien fonctionner pour cela et il ne s'en prive pas. Aucun éclat, juste des paroles froides, des regards incisifs, de la non-considération qui glace...glacée voilà ce qu'a été Eglantine. Maltraitée, forcément aussi. Obligée de subir les éclats de son père, "le monstre" qui venait la chercher pour qu'elle assiste à la destruction psychologique de sa mère. Apeurée de perdre sa mère. Forte et protectrice pour ses frères et soeurs. Vrillée dans son coeur, dans ses sentiments, dans ses rapports aux autres pour la vie...

"Je suis ligotée. Oui, ligotée psychologiquement, c'est comme ça que je me suis toujours sentie. Interdite à moi-même. Sans cesse sur le qui-vive. Niée, détruite, mais ayant peur d'être abandonnée totalement."

Dans ces pages, Eglantine raconte, pose des mots, reprend des extraits de son journal intime pour tenter de mettre un peu d'ordre dans sa tête.

"Le samedi 12 mars 2005 : Je me sens souvent comme un cheveu sur la soupe de la vie"

Ce texte est touchant. On sent la sensibilité au bout de chaque mot, chaque phrase. On sent la violence à l'intérieur de son propre corps quand on lit cela. J'ai trouvé pourtant qu'Eglantine avait beaucoup de courage, elle s'est accrochée, a essayé / espéré de maintenir une relation "normale" avec son père. Entre les lignes elle accuse le silence de ceux qui ne l'ont pas cru, comme quoi si on en doutait encore, l'habit ne fait pas le moine. J'ai été touchée par ce texte, émue par certains moments. C'est un texte brut, et pour un premier roman je le trouve réussi. J'aurais aimé peut-être que l'auteure nous précise un peu plus de situations de vie. J'ai compris que les mots du monstre pouvaient être froids mais je l'ai réellement ressenti quand Eglantine Lhernault illustrait cela par des faits, des moments de vie précis.

"On est priés d'écouter sans broncher. Et surtout, de ne pas interrompre. De ne pas faire remarquer notre présence. Calvaire pour mon frère qui est un vrai moulin à paroles. Habitude pour moi de me taire. De ne rien dire, ni rien montrer. Parce que le repas est le moment des parents...nous explique-t-on. J'ai l'audace de ne pas voir la différence avec les autres moments...Car celui des enfants n'existe pas."

Je me suis aussi demandée quel avait été le rôle de la maman, comment au fil des années elle a pu faire 3 enfants avec cet homme et subir cela au quotidien. Qu'a t'elle fait pour se protéger ou protéger ses enfants? Peut-être aussi qu'en tant que mère, je ne peux me résoudre à accepter ou conclure qu'elle n'a rien pu faire. J'ai eu la chance d'échanger sur cela avec l'auteure et j'ai compris pourquoi. Je n'en dirai pas plus pour préserver cette femme qui a déjà beaucoup souffert.

Je ne peux qu'être très sensible à la douceur, la sensibilité et la sincérité qui se dégagent de ce texte, sur un thème très dur, d'autant plus qu'autobiographique. Une auteure que je suivrai avec plaisir dans son cheminement parce qu'elle a du talent pour écrire avec de courtes phrases ce qu'elle ressent et nous fait passer cette émotion. Je vous recommande donc vivement de la découvrir avec ce premier roman.

"Parce que j'ai, gravé dans ma chair, la sensation irrationnelle qu'être un enfant, c'est être en danger. Parce que les enfants ne savent pas se défendre. Parce qu'ils sont faibles et ne savent pas ce que c'est qu'être heureux."

"J'aimerais qu'on m'oublie et qu'on me laisse n'être pas douée"

Le petit bonus, l'interview d'Eglantine Lhernault qui a accepté de répondre à mes questions.

 

Eglantine Lhernault Totoromoon blog

 

Parlez-nous un peu de vous, présentez-vous ?

Je suis une petite bibliothécaire qui adore son métier, malgré tous les clichés qu’il véhicule sur la ringardise, les lunettes, les chignons et les livres que l’on est censé avoir tous lus. J’aime écrire, tricoter, regarder la mer, respirer le parfum du muguet, manger du chocolat et rêver. Je suis aussi une blogueuse musicale qui aime passer des heures dans l’obscurité des salles de concerts.

Quels sont les auteurs que vous aimez ? Parlez-nous d'un livre qui vous a touché, pourquoi ?

La première phrase du livre est une citation de Marguerite Duras « J’aimerai quiconque entendra que je crie », qui met merveilleusement en mots l’état d’esprit de la narratrice. C’est un auteur que j’aime énormément. Mais il y en a plein d’autres que j’aime aussi ! J’aime l’art de manier les mots de Flaubert, j’aime aussi beaucoup l’univers de Julien Green. J’aime la poésie de Paul Eluard et de Philippe Jaccottet. Un livre qui m’a particulièrement touchée est le livre de Mark Haddon, « Le bizarre incident du chien pendant la nuit ». J’aime l’originalité de ce récit initiatique, et la façon dont l’auteur peint les tribulations de son jeune héros, autiste attachant dont le monde est perturbé, avec un humour délicat et surtout une profonde sensibilité.

Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ? Pourquoi avoir décidé d’écrire sur sa propre histoire ?

J’ai presque toujours écrit. Des journaux d’abord, puis des nouvelles, des textes courts. J’écris aussi sur la musique depuis plusieurs années. Puis j’ai commencé à écrire ce texte il y a quelques années, pour moi, sans réelle volonté de le faire publier. Il était comme un jet, un élan des tripes. Et j’ai réalisé que son sujet touchait un très grand nombre de personnes, bien plus que je ne l’imaginais au départ. Mon entourage m’a encouragée à chercher un éditeur et par la même occasion à donner forme à mon goût de l’écriture. Je l’ai donc longuement retravaillé, écourté, épuré pour l’axer sur la figure du père, le rapport père/fille et la construction de son identité dans le contexte de la maltraitance invisible, de la destruction et de la négation de soi, pour rendre au plus proche la tension quotidienne, l’oppression à l’intérieur du cercle familial, sans que rien ou presque ne transpire à l’extérieur.

Ainsi, c’est à la fois un roman autobiographique et un roman d’apprentissage, qui traite de la construction de soi dans un contexte de violence invisible et de harcèlement moral au sein de la famille. Mais pour autant, ce n’est pas un texte triste. Je le voulais sans exhibitionnisme, sans rancœur, sans esprit de revanche. La seule revanche qu’il met en œuvre, c’est celle à prendre sur la vie : de la violence souterraine et silencieuse quotidienne au choix de vivre.

Tout au long de son cheminement, l’héroïne trouve en elle la force de se libérer de l’origine de la souffrance, de l’emprise, de la toxicité. La force de choisir la construction et l’épanouissement, la force de choisir la vie. De pouvoir dire : je vis, enfin.

Je suis consciente que la lecture de ce livre peut être difficile émotionnellement. Elle l’est d’autant plus pour des personnes qui ont elles aussi souffert d’être confrontées à des personnalités toxiques. Mais mon souhait est qu’au-delà de la difficulté, sa lecture apaise le sentiment de solitude qu’éprouvent les personnes confrontées à ces situations, et apporte au final un peu de lumière et d’espoir au bout du chemin.

Votre livre a-t-il été lu par les membres de votre famille ? Comment ont-ils réagi ?

Certains membres de ma famille l’ont lu, ceux desquels je suis la plus proche. Cela a permis de libérer une parole empêchée, de mettre des mots sur beaucoup de non-dits, de souvenirs enfouis, de souffrances cachées. Et cela nous a encore rapprochés davantage.

Comment avez-vous vécu la sortie de votre premier roman ?

Comme un grand bonheur, même si j’ai mis du temps à réaliser. Un bonheur de voir vivre ce texte par lui-même, comme s’il prenait son envol et que je pouvais à présent passer à autre chose.

Qu’est ce qui a changé depuis la sortie de votre livre ?

Depuis la sortie du livre, j’ai eu des contacts à la fois enrichissants et émouvants avec des lecteurs et notamment des personnes ayant elles aussi souffert d’être sous emprise. J’ai eu la joie de constater que mon souhait d’apporter un peu de lumière et d’espoir au bout du chemin se réalisait. Par le biais de l’Association CVP - Contre la Violence Psychologique et des salons dans lesquels je me suis rendue pour parler de mon livre, j’ai pu aller à la rencontre de personnes ayant vécu des expériences similaires à la mienne, et aussi sensibiliser les gens sur ce sujet délicat.

Avez-vous une autre passion ? Il me semble que la musique particulièrement vous plait, pourquoi ? Que faites-vous dans cet univers ?

Oui, la musique tient une place très importante dans ma vie. J’ai commencé le piano très jeune, et développé un goût prononcé pour la musique classique, la musique de film puis toutes sortes de courants musicaux dérivés du rock comme le post-rock qui est un genre que j’adore particulièrement. Je passe énormément de temps dans les salles de concerts, je trouve que la musique n’a pas sa pareille pour toucher l’âme. Grâce à mon blog musical, je peux conjuguer mon amour de l’écriture et mon amour pour la musique. Il me permet d’être en relation directe avec des musiciens, des artistes, des attachés de presse, d’avoir des échanges souvent passionnants, de faire régulièrement de belles découvertes et de les partager à travers mes articles.

Avez-vous d’autres projets de livre ?

J’ai un nouveau texte en cours d’écriture, toujours avec une narratrice et toujours à la première personne, mais sur un thème beaucoup plus léger.

Merci Eglantine.

Le blog de l'auteure : http://totoromoon.wordpress.com/

Le site de l'association Contre la Violence Psychologique : http://cvpcontrelaviolencepsychologique.com/

 

 

 

 

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Commentaires
D
Bonjour à vous,<br /> <br /> En regardant un site sur la maltraitance,j'ai eu la surprise de découvrir votre livre.<br /> <br /> J'ai moi même subit des maltraitances psychologiques et physiques jusqu'à 41ans,j'en ai 43,et souffre d'une maladie très handicapante depuis 6ans maintenant.<br /> <br /> J'aimerais beaucoup lire votre livre,dites moi comment faire pour me le procurer.<br /> <br /> J'espère que le fait d'avoir écrit ce livre vous a aidé à exterioriser vos démons.<br /> <br /> Bien amicalement,Séverine.
M
Je suis sous le charme de ton billet qui me fait glisser les larmes aux yeux. J'aime le ton mis pour parler d'un sujet tellement destructeur avec une justesse rare. Et l'interview de l'auteur est réellement un beau cadeau. Magnifique! Merci Laurie pour ce grand moment de partage
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