Kinderzimmer, Valentine Goby
Tsufünft - l'Appell - Le froid - Blockhaus - La berceuse espagnole - Le corps de Lisette - La petite valise - les vols - Les visages de vieux des enfants de moins de trois mois - la faim - la violence à en vomir - tenir.
Voilà je l'ai lu, j'ai pris ma respiration et j'ai plongé dans l'univers de Mila. Cela fait un an que j'ai ce livre car je savais qu'il me fallait le lire. Mais j'avais peur. Peur de retrouver cette violence inouïe des camps de concentration. Peur aussi du thème de la grossesse et de la naissance dans ce monde d'affaiblissement de l'autre et de mort. Je m'y suis préparée (peut-on vraiment l'être ceci dit), je me suis blindée, j'ai pris soin de le lire par petits bouts. J'ai refermé quand les larmes étaient au coin des yeux, j'ai soufflé, repris ma respiration et je n'ai pu m'empêcher de continuer car ce livre est juste sublime.
Ce livre c'est l'histoire de Mila, arrivée au camp de Ravensbrück en 1944 pour services rendus à la résistance. Mila a été dénoncée et se retrouve déportée. Une année dans les camps de la mort. Mais cette année est à part pour Mila, elle est enceinte. Elle le cache pour ne pas être catégorisée dans les faibles, celles dont on se sert un peu ou dont on se sépare. Dans le courant de cette année, le camp voit l'arrivée massive de déportées, alors il faut bien faire le tri, faire de la place. Les conditions misérables s'en chargent et les prisonniers meurent de faim, de froid, de maladie, d'empoisonnement à l'infirmerie. Dans cette première partie du récit, on re-découvre avec horreur ce qu'on a déjà lu ou appris sur les camps mais à chaque fois, je dois le dire, je n'en reviens pas de la violence humaine qui faisait foi dans ces camps.
La seconde partie du récit est la plus singulière car j'ai découvert les Kinderzimmer des camps. Mila accouche, et là vraiment mon corps de femme a ressenti en partie la violence de cet accouchement. Chut, ne pas déranger le docteur, ne pas crier. Puis le petit James arrive et là au jour le jour, c'est le combat pour faire tenir son bébé. Le nourrir, le réchauffer de sa présence, de l'amour les quelques heures où les femmes peuvent les tenir. Mais comment donner le sein dans de telles conditions de vie? Le corps de Mila n'a plus rien à offrir. Heureusement d'autres femmes, nouvellement arrivées, ou qui ont perdu leur enfant, offrent leurs seins. Puis il faut voler pour échanger un peu de lait en poudre (quelle douleur de lire que des chats étaient nourris avant les bébés), ou du charbon pour éviter aux petits corps de mourir de froid. Je ne dirai pas ce qui se passe ensuite, au lecteur de le découvrir quand il se lance dans ce récit. Il y a énormément de lutte, de douleur mais aussi un peu de réconfort dans ce roman. La fin s'accélère, aussi lentement que l'hiver est passé dans le camp, aussi vite le retour à Paris se fait. J'ai été prise de court sur cette fin qui donne un autre rythme au récit.
Je ne sais si j'ai bien retranscrit mes émotions au cours de cette lecture. J'ai eu mal, au plus profond de mes tripes d'humaine mais aussi de mère. Je ne connaissais pas l'existence de ces Kinderzimmer et Valentine Goby retranscrit avec une grande qualité littéraire le quotidien de ces femmes. Le tour de force de ce livre réside profondément dans les faits, les pensées de ces femmes. Il n'en faut pas plus, pas la peine d'en rajouter, vivre cette lecture à côté d'elles. Une lecture éprouvante mais juste. Un roman sur le fil, parfaitement maîtrisé et qui reste ancré en soi, dans le corps, dans la tête.
Une lecture que je partage avec plaisir avec Antigone.