Jupe et Pantalon, Julie Moulin
Premier roman de Julie Moulin, découvert dans le cadre des 68 premières fois. Premier roman qui a déjà fait couler beaucoup d'encre au sein de cette jolie communauté. Déroutant, dérangeant, ce livre est particulier. Il faut une petite dose d'ouverture d'esprit pour accepter que les protagonistes de la première partie soient tout simplement les membres du corps de l'héroïne qui prend ensuite elle-même sa place. Il faut quelques cuillères de prise de recul et laissez enfourner quelque temps pour avoir un coup de poing dans le ventre à la fin. En tout cas, pour ma part, c'est exactement le cheminement suivi.
Au début ma tête a donc peu à peu accepté que Mirabelle, Marguerite (les jambes), Brice et Boris (les bras), Babette (la paire de fesses) et Camille, le cerveau soient ceux qui me parlaient à moi lectrice. On est surpris les premières pages, on s'en amuse ensuite pour parfois être un peu dérouté et arriver à se dire que si c'est ainsi tout le long, la lecture va être difficile à tenir. Pour autant c'est vraiment très intéressant d'avoir ce point de vue du corps, vous savez celui dont on écoute trop peu les alertes. Et puis je me suis doucement laissée embarquer vers ce point de rupture...jusqu'à ce que A. devienne Agathe, qu'elle prenne "vie" telle une personne et non plus les membres d'un corps. Le corps est toujours présent et les membres continuent à parler mais dans la seconde partie c'est Agathe que l'on voit, c'est Agathe qui est un peu de nous. Agathe, c'est tout simplement une femme qui veut mener carrière et vie familiale de front...au prix de son corps. Il faut dire que ce corps est malmené, 3 enfants, un mari peu aidant (mais à sa décharge qui n'arrive pas à converser avec Agathe), une Agathe obnubilée par le travail...alors peu à peu l'épuisement s'installe jusqu'au refus, la rupture, le fameux point de non-retour. Malmenée au travail, malmenée à la maison par ses obligations, enfermée dans une façade "je gère", Agathe se rompt, se casse littéralement. Il va falloir accepter ce corps qui dit "non", cette tête qui ne fonctionne plus, ce cloisonnement, ce moment forcé où il faut juste poser des mots sur une situation, se rendre compte et prendre les mesures qui s'imposent. Cette deuxième partie souligne la difficulté des femmes de mener de front les deux vies, les deux habits, jupe et pantalon.
J'ai commencé ce roman surprise, puis j'ai souri, puis j'ai failli le reposer, puis il m'a emporté, puis j'ai fini en larmes. Voilà, oui il est déroutant. Il parle du corps et j'ai beaucoup aimé cette approche. L'auteure signale à la fin qu'elle s'est inspirée de ce qui lui est arrivée elle-même. L'auteure a mon âge. Ce roman m'a parlé, m'a bouleversée. Il m'a touchée car il a fait écho à certaines situations du moment...ces situations où on sent que ça déborde de partout, que le corps fait mal, qu'il y a une alerte et pourtant "il faut continuer". Pourquoi? je ne sais pas...Génération du burn-out que nous sommes, qu'avons-nous fait de nous et de nos corps? Un livre coup de poing qui fait réfléchir et je crois que c'est sa raison d'être. J'ai bien-sûr envie de croire qu'il est possible de mener nos vies de femmes de front (voir ma chronique sur le livre "en avant toutes" de Shéryl Sandberg) mais surtout pas à n'importe quel prix.