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Repose-toi sur moi, Serge Joncour
Il est des livres dont le titre d'ores et déjà évoque quelque chose de fort en vous. Il est des auteurs qui savent identifier les ressorts profonds des êtres humains et qui les mettent en écriture brillamment. Il est des personnages qui dès les premières pages vous embarquent dans leur quotidien et il est des livres que l'on ne veut pas terminer tellement le moment est doux. "Repose-toi sur moi" fait partie de ces livres- Attention coup de coeur -
Lui c'est Ludovic. Il a quitté sa campagne, sa ferme, sa mère qui s'est enfermée dans le silence pour une vie à Paris. Non pas qu'il en rêvait de cette vie, loin de lui l'idée de monter à la capitale. Mais alors que son futur était tracé avec Mathilde, la maladie et la mort ont bouleversé cet homme. Fuir cet endroit, laisser sa soeur et son beau-frère gérer, ne pas interférer. Il fallait alors partir loin et par connaissance il se retrouve à exercer un dur métier dans le recouvrement. Il atterrit dans un petit appart au fond d'une cour d'un immeuble parisien.
Elle, c'est Aurore. Femme active, détenant sa marque de prêt-à-porter, mariée à Richard, américain vivant à Paris et réussissant brillamment et avec facilité dans les affaires, deux enfants, une nounou sur qui elle peut compter. Elle habite dans cette même cour mais l'autre escalier, celui des gens plus aisés.
Ces deux personnages vont malgré leurs grandes différences se rencontrer, certes un peu brutalement, certes de manière presque forcée mais une force intérieure les rassemble. Qui a besoin le plus de l'autre? Qui rêve d'une autre vie? Au fond qui n'a pas besoin d'une épaule sur laquelle se reposer.
Ce livre est celui de la réconciliation. Réconciliation de deux mondes que tout oppose à première vue. Réconciliation de milieux sociaux et aspérités différentes. Réconciliation de deux corps opposés. Réconciliation des différences. Qu'il est doux de lire cela en cette période d'humanité chahutée par les différences. L'auteur nous fait réfléchir sur des thèmes d'actualité : être fort ou se montrer fort dans la société, ne pas dévoiler ses peurs, ses inquiétudes, ses échecs. Pourquoi au fond? Faire confiance aux autres plutôt que s'en méfier. Oser chambouler sa vie, écouter ses plus profondes aspirations et ses besoins.
Serge Joncour avec sa plume délicate et sensible nous livre le plus profond de l'être humain : ses envies, ses peurs et ses besoins. Besoin d'aimer, besoin d'être aimé, besoin d'être écouté. Bienveillance, gratitude, amour et solidarité, voilà. On repose ce livre en regrettant de quitter Ludovic et Aurore. J'ai rarement senti à ce point la réelle existence de personnages d'un livre. Je les vois, j'imagine cette cour, cet escalier, les boîtes à lettres, l'arbre avec les corbeaux, les fenêtres de l'appartement d'Aurore, le lit rêche de Ludovic. Aurore a fait écho chez moi à certaines situations et je la trouve courageuse cette femme : résilience, abandon, écoute de soi et de l'autre.
Quel talent Mr Joncour, vraiment! Merci d'écrire sur ces thèmes, merci de nous offrir un livre d'amour sincère et qui redonne confiance en l'être humain.
Un livre qui a reçu le prix Interallié 2016.
Morceux choisis :
"Parfois, à des petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l'assurance qu'il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu'un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu'on en fait plus pour les autres qu'ils n'en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c'est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu'ils s'y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment."
"Encore une fois elle n'avait plus la force d'être la chef, la mère, la femme, la créatrice et l'infirmière de tout un tas de gens, en plus d'être la fille docile de ses parents inquiets et totalement fauchés au début de leur toute fraîche retraite, et la belle-fille de beaux-parents venant de l'autre côté de l'Atlantique, une belle-fille toujours disponible et gaie, tout ça en ce moment elle ne le pouvait plus, elle sentait que par moments on peut perdre la force d'être soi."
"Quand on a vu la maladie gagner, jour après jour, sur le visage de celle qu'on aime, quand on a pris, jour après jour, la mesure de son impuissance totale face à la maladie de l'autre, qu'on a flotté pendant des mois dans des angoisses qui ne font que vous parler de la mort, qu'on est suspendu, jour après jour, à de nouveaux diagnostics, sans cesse renvoyé à son impossibilité totale d'agir, et qu'on est bien obligé d'admettre que malgré tout l'amour qu'on porte à celle qu'on aime, on ne peut rien pour elle, rien, alors après ça on n'a plus peur de rien."
"C'est un choix démesuré de quitter la personne avec qui on vit, avec qui on est installé depuis des années, avec qui on a des enfants, c'est une décision impossible à prendre, parce qu'elle ouvre sur trop d'abîmes, rompre c'est assumer de défaire son existence mais aussi celle des autres autour, au risque de tout perdre, de les perdre eux-mêmes, au risque de tout déstabiliser. Quitter c'est se redonner vie à soi, mais c'est aussi redonner vie à l'autre, quitter c'est redonner vie à plein de gens, c'est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu'ils ne savent pas faire."
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